Le peintre
L’œuvre du peintre Georges Moreau de Tours, né à Ivry–sur-Seine et mort à Bois-le-Roi, Seine-et-Marne, où il résida avec sa famille, est le précieux témoignage des grands courants d’idées de la seconde moitié du 19e siècle en France quand l’Orientalisme, les avancées de la psychiatrie et un renouveau de patriotisme, inspirèrent artistes et poètes romantiques et symbolistes. À la fin de sa vie à Bois-le-Roi dans la forêt de Fontainebleau, son style s’inspira de celui des artistes du Plein-Air et des Impressionnistes. Thérèse de Champ Renaud, Moreau de Tours, son élève, son modèle et sa femme, devint aussi un peintre renommé.
Sa vie & son œuvre
Georges Moreau de Tours est né à Ivry-sur-Seine, le 3 avril 1848, à la Maison de Santé Esquirol (du nom du maître de son père, Jean Étienne Esquirol, directeur de la Maison Royale de Charenton, l’asile d’aliénés), que dirigeait son père Jacques-Joseph Moreau (1804-1884), célèbre médecin et psychiatre originaire de Touraine, d’où le surnom de Tours. Son fils aîné, Paul Moreau de Tours, lui aussi médecin-aliéniste, reprit la direction de la clinique à sa mort en 1884. Georges initia des études de droit, qu’il abandonna, pour entrer à l’École Nationale et Spéciale des Beaux-Arts le 25 octobre 1870, Section de Peinture et Sculpture où il étudia sous Alexandre Cabanel (1823-1889), un peintre académique de portraits et scènes de genre.
Il exposa au Salon pour la première fois en 1875, et ses œuvres apparurent régulièrement au Salon après cette date. Le tableau Cléopâtre exposé en 1875, et le tableau qu’il soumit au Concours du Prix de Rome en 1878, Ptolémée au tombeau d’Alexandre, ainsi que L’Égyptologue, 1882, au Musée des Beaux-Arts de Tours, reflètent l’Orientalisme ambiant et un engouement pour l’Égypte suscité par la publication en 1858 du Roman de la Momie par Théophile Gautier, l’ami de son père, et la mort en 1881 d’Auguste Mariette, avec Champollion l’un des pères fondateurs de l’Égyptologie. Le Docteur Jacques-Joseph Moreau de Tours avait effectué un voyage au Proche et au Moyen-Orient en compagnie d’un patient de 1836 à 1837, où il étudia les effets cliniques du haschisch sur le psychisme.
Georges Moreau de Tours gagna en 1880 le concours de la ville de Paris pour la décoration de la Salle des Mariages de la Mairie du 2e arrondissement avec Le Sacrifice à la Patrie. Les esquisses des deux tableaux qui l’accompagnent dans cette salle réalisée en 1877 par un disciple de Victor Baltard, représentent respectivement Le Mariage et La Famille et se trouvent au Petit Palais à Paris. Les trois toiles furent mises en place en 1882.
Son père, Dr Jacques-Joseph Moreau de Tours, était aussi amateur d’art et de littérature. De retour à Paris, il rassembla autour de lui des artistes, écrivains et autres personnalités de l’époque à l’Hôtel Pimodan, l’actuel Hôtel de Lauzun sur l’île Saint-Louis, avec lesquels il fonda en 1844 Le Club des Haschischins, décrit par Théophile Gautier en 1848 dans l’essai éponyme, et conduisit une étude des états paranormaux sous l’effet des narcotiques, que relate Charles Baudelaire en 1860 dans un chapitre des Paradis artificiels. Jacques-Joseph Moreau de Tours fut un pionnier des recherches psychiques et psychologiques, reprises par Jean-Martin Charcot (1825-1893) à l’hôpital de la Salpêtrière, sur l’hypnose et l’hystérie, qui conduisirent à la théorie du traumatisme psychique, plaçant la France à l’avant-garde dans le domaine et influençant Sigmund Freud, l’un de ses élèves.
Georges Moreau de Tours explora ce sujet dans plusieurs de ses tableaux. Il exposa au Salon de 1879 Une extatique au XVIIIe siècle, épreuve de crucifiement , en1885 Une stigmatisée au moyen-âge, en 1890 Les Fascinés de la Charité Service du Dr. Luys. Le tableau Les Morphinées exposé au Salon de 1886, et commenté la même année par Guy de Maupassant dans Chroniques, fut reproduit dans le Supplément Illustré du Petit Journal du 21 février 1891.
L’influence du cercle des poètes et écrivains qui entouraient son père est aussi apparent dans plusieurs œuvres au thème littéraire, tel Faust et Marguerite de Goethe, ou Henrich Heine et la Muse de la Poésie, 1894. Une esquisse du portrait du poète à été offerte par Georges Moreau de Tours au maire de Bois-le-Roi, Monsieur Louis Létang, un écrivain qui exerça la fonction de maire de 1892 à 1908, avec la dédicace : « À Monsieur Létang Maire de Bois le Roy Hommage de l’auteur G. Moreau de Tours ». Cette esquisse se trouve à la Mairie de Bois-le-Roi.
Une importante partie de l’œuvre de Georges Moreau de Tours est au service de l’esprit patriotique républicain et de l’État. Après la défaite de Sedan en 1870 et la chute de Napoléon III un regain de patriotisme anima la France. Ainsi le savant et érudit collectionneur de souvenirs napoléoniens, Paul Marmottan (1850-1932), contemporain de Georges Moreau de Tours, soutint l’action nationaliste des militaires, collectionneurs et artistes désireux de relever l’humiliation de Sedan dans leurs célébrations de l’armée française à l’Exposition Universelle de 1889, et dans leur appel à dons en 1891 en vue de créer le Musée de l’Armée, dont il devint l’un des membres fondateurs.
Georges Moreau de Tours exposa quatre tableaux à l’Exposition Universelle de 1889, dont deux tableaux historiques : La mort de Pichegru, 1886 et Le Drapeau. Asaut de Malakoff le 8 septembre 1855, acheté par l’État au Salon de 1888 désormais au Musée de Laval.
Les ancêtres de Georges Moreau de Tours avaient combattu dans les guerres de la Révolution française et sa cousine Sophie Moreau, veuve du Dr. Bretonneau, ami et maître de Jacques-Joseph Moreau de Tours, avait épousé en secondes noces en 1863, Justinien Nicolas, Comte Clary, lieutenant-colonel et neveu de Désirée Clary, la fiancée marseillaise de Bonaparte, épouse du général Bernadotte, Prince de Pontecorvo et de l’Empire, roi de Suède et de Norvège. Le Comte Clary semble avoir joué un rôle important dans la vie du peintre, ce fut lui qui lui présenta ses insignes de la Légion d’Honneur en 1892 - il était lui-même Commandeur de l’Ordre - et en 1893 il fut témoin de son mariage à Paris. En 1880 Moreau de Tours exposa au Salon La Tour d’Auvergne. Premier Grenadier de France mort au champ d’honneur. Le tableau, acquis au Salon par l’État et déposé la même année au Musée des Beaux-Arts de Quimper, fut largement diffusé et illustré en chromolithographie dans Le Petit Journal Supplément Illustré. Ce thème héroïque et patriotique sera repris par l’artiste dans de nombreuses toiles présentées au Salon, entre autres :
- 1886 La mort de Pichegru
- 1888 Le drapeau : assaut de Malakoff le 8 septembre 1855, Musée de Laval
- 1891 La Mort du polytechnicien Vaneau, 29 juillet 1830, École Polytechnique
- 1892 Vive la France, exécution de G. Gombald de Dinan, sergent au 2e tirailleurs à Ingolstad, janvier 1871, Château de Dinan, illustré dans un ouvrage couronné par l’Académie Française, Histoire Générale de la Guerre Franco-Allemande, 1870-1871
- 1893 Au cabaret de Ramponneau, Musée de Colmar
- Lazare Carnot à la bataille de Wattignies 15 octobre 1793, Musée d’Evreux
- En avant, en avant ! La charge de Reichshoffen à la Bataille de Froeschwiller le 6 août 1870 (mort du colonel Franchessin)
- 1893 et à l’Exposition Universelle de 1900 Le départ du conscrit
Thérèse de Champ Renaud, Modèle, Élève et Épouse. Le peintre Thérèse Moreau de Tours (1861 – 1921)
En 1889 Georges Moreau de Tours est mentionné résidant au 51 rue Claude Bernard, Paris 5e dans le, Catalogue Général Officiel, Exposition Universelle, et en 1897 dans la publication de Jules Martin, Nos peintres et sculpteurs, graveurs, dessinateurs : portraits et biographies . Il y avait sans doute emménagé après la mort de son père en 1884. Son mariage y fut célébré le 20 avril 1893 avec son modèle et élève, Thérèse de Champ Renaud (1861–1921) d’origine suisse, en présence de son médecin, suite à une attaque d’apoplexie après la mort de sa mère le 25 mars 1893. Leurs trois filles, conçues hors mariage et désormais légitimées, y sont nées : Jacqueline en 1886, Georgette en 1887, Sophie Germaine en 1890 - elle y décède en décembre 1893 - et leur fils René né en 1895.
Thérèse avait aussi étudié aux Beaux-Arts sous Cabanel et fut la seule élève de Georges Moreau de Tours. Elle a peint des paysages, des scènes de genre dans des cadres bucoliques, et en émulation des œuvres de son mari, des tableaux historiques. Elle exposa au Salon de 1885 à 1893, et son nom apparaît sous la signature de Georges Moreau de Tours en 1891 sur un tableau représentant Le Maire de Rennes daté 1887, qui fut reproduit dans le Supplément Illustré du Petit Journal du 7 février 1891 sous la description « Tableau fameux de Mme Moreau de Tours ». Le tableau fut acquis en 2012 par le Musée de Bretagne à Rennes.
Le Retour, un tableau représentant le retour au foyer d’un soldat des armées républicaines, probablement en Alsace pour le nœud de satin noir dans la chevelure de la mère tenant son enfant dans les bras, a été légué à la commune de Bois-le-Roi en 2018.
En 1891 la revue L’Illustration, SALON 1893 reproduisit une marine, Souvenir du Tréport, Mme G. MOREAU DE TOURS, née DE CHAMP-RENAUD. La même année Le Petit Journal, Supplément Illustré honora Georges Moreau de Tours et sa femme Thérèse en illustrant outre Le Maire de Rennes le 17 janvier 1891, le 7 février Jeune Mère, Tableau de Mme de CHAMP-RENAUD, puis le 21 février Les Morphinées, Tableau de M. MOREAU DE TOURS , enfin le 22 août 1891, La Petite Patriote, Tableau de Mme de CHAMP-RENAUD
En 1900 le Paris Hachette Annuaire illustré liste Georges Moreau de Tours à Bois-le-Roi sous la rubrique Adresses Mondaines. Il y avait acheté une propriété en 1895, une colonie d’artistes, d’écrivains et de compositeurs s’y était installée en 1871, fuyant le chaos du Siège de Paris et de la Commune, et son père avait été un ami du Dr. Claudius Bureaud-Riofrey, maire de Bois-le-Roi de 1876 à 1881. À Bois-le-Roi durant le recensement de 1900 à 1902, la famille du peintre fut enregistrée après sa mort en 1901 au 224 avenue de la Gare, aujourd’hui le 79 avenue Foch. Y sont recensés sa femme Thérèse, veuve à cette date, leur trois enfants nés à Paris : Jacqueline, quinze ans, Georgette, treize ans, et René, six ans, ainsi que leur domestique.
Sa petite fille Simonne Hennape, décédée en 2003, évoqua leur résidence au lieu-dit La Vignette, enregistré sous le nom Moreau de Tours au cadastre de 1904, des deux côtés de l’Avenue de la Gare dans plusieurs maisons, dont l’une au 77 de l’avenue Foch actuelle, anciennement le 222 avenue de la Gare, où vivait la mère de Thérèse remariée à Pierre Monfray, recensés tous deux à cette adresse de 1901 à 1911, et une seconde au 79, anciennement le 224 avenue de la Gare, où Thérèse est recensée comme artiste peintre en 1906 avec ses filles Jacqueline, professeur de violon, Georgette, pianiste, son fils René et une gouvernante. René s’associa à son beau-frère, Charles Louis Lesot de la Panneterie, dit de la Cressonnière, artiste dramatique et acteur du cinéma muet, époux de sa sœur Jacqueline, pour transformer la demeure au 79 avenue Foch en une hostellerie, La Grande Vignette, dont le Livre d’Or date du 11 juillet 1930.
L’atelier du peintre se trouvait en face au 64 de l’actuelle avenue Foch. Il fut transformé en une salle des fêtes où furent donnés des bals et des représentations théâtrales, qui perdurèrent jusqu’aux années soixante avant sa démolition. Une annexe de La Grande Vignette, La Petite Vignette, fut construite à côté, au 62 de l’avenue Foch.
En 1893, peu après la mort de sa mère, Georges Moreau de Tours avait été frappé d’une attaque d’apoplexie qui lui causa une paralysie faciale partielle du côté droit. Quelques semaines plus tard il épousait Thérèse, un mariage auquel la famille du peintre avait toujours objecté en raison de leur relation professionnelle et de son appartenance au culte protestant. Le peintre abandonna alors les grands tableaux historiques illustrant l’épopée républicaine et impériale pour se concentrer sur des toiles de taille plus modeste, et des sujets divers inspirés d’œuvres littéraires, poétiques ou musicales, des paysages et marines, des natures mortes et surtout des tableaux de plein-air où Thérèse et ses enfants, en particulier René le dernier-né, jouent un rôle principal. Ces toiles dénotent l’influence des peintres de l’École de Barbizon, un village voisin dans la forêt de Fontainebleau où, suivant l’exemple de Corot et du peintre anglais, le maître paysagiste John Constable exposé à Paris au Salon de 1824, une succession d’artistes s’appliquèrent de 1825 à 1875 « à peindre en plein air et d’après nature ». Ce que la commercialisation de la peinture à l’huile en tubes rendait alors possible, bien que le tableau de Constable qui reçut une médaille d’or de Charles X au Salon, The Haywain, La charrette de foin, 1821, ait été peint en atelier d’après des études faites en plein-air, sur le modèle des tableaux historiques dont il assume aussi les grandes dimensions. Le titre initial de l’œuvre était Landscape, Noon, Paysage à midi, indique que le peintre l’avait conçu initialement sur le modèle des paysages de Claude Le Lorrain, et des maîtres paysagistes hollandais, tels Salomon et Jacob van Ruysdael.
Georges Moreau de Tours semble avoir coulé des jours heureux à Bois-le-Roi au sein de sa famille très unie où régnaient l’amour et l’harmonie dans une tendre complicité entre les époux, tous deux absorbés dans un travail qui les unissait depuis toujours malgré les obstacles faits à leur union. Il dépeint d’une palette plus vive et plus fluide ce simple bonheur domestique dans des décors bucoliques, tel Thérèse peignant dans le jardin de Bois-Le-Roi.
Thérèse fut son unique modèle et sa seule élève, et si au début de leur vie commune avant leur mariage, il la représenta dans le style académique de scènes allégoriques telle Le Sacrifice à la Patrie, mythologiques ou religieuses, sa dernière manière montre un style plus souple, plus lumineux et plus sensuel, proche de la palette et de la technique des Impressionistes. Ainsi l’émouvant Portrait de Thérèse vue de dos, 1897 dans lequel il exprime avec grande sensibilité tout son amour pour la beauté sensuelle et rayonnante de son épouse.
Thérèse émula le style et les divers genres dans lesquels travaillait son mari, ainsi La bataille de l’Alma. Zouave reprenant le drapeau de son régiment à l’ennemi, 1909. À tel point que leurs deux signatures peuvent apparaître sur un même tableau comme Le Maire de Rennes en 1887, reproduit dans le Supplément Illustré du Petit Journal du 7 février 1891 sous la description Tableau fameux de Mme Moreau de Tours. Ou bien encore des œuvres peuvent être attribuées indifféremment au maître ou à l’élève, au mari ou à la femme, tel Jeune Mère, 1891, évoquant peut-être une possible collaboration sur certaines toiles. De plus après la mort de Georges Moreau de Tours, Thérèse se dépeint elle-même dans ses propres tableaux en suivant le style de son mari, son regard aimant encore vivant et posé sur elle dans son art.
Sa production fut aussi prolifique que celle de Georges Moreau de Tours, elle participa à de nombreuses expositions où elle est mentionnée indifféremment sous le nom de Thérèse Champrenaud, Thérèse Champ Renaud, Thérèse de Champ Renaud, ou Thérèse Moreau de Tours.
Georges Moreau de Tours mourut le 11 janvier 1901 à Bois-le-Roi. Il repose en compagnie de Thérèse, qui décéda à Paris en 1921, au cimetière de Bois-le-Roi dans le caveau familial, qui abrite aussi leurs enfants et leurs conjoints, et les membres proches de leur famille, dont la mère de Thérèse, Jeanne Monfray, née Hassler, veuve de Louis Champ Renaud, décédée à Bois-le-Roi en 1911. Certains des descendants de Georges et Thérèse Moreau de Tours vivent encore dans la commune.
La rue de Longuives à Bois-le-Roi fut renommée rue Moreau de Tours en 1930 après le don à la commune du tableau Ptolémée au tombeau d’Alexandre par son fils René en 1929
Bibliographie
- Jean-Pierre Luauté, Les Moreau de Tours, Société, histoire et médecine, Éditions Glyphe, Paris, 2018
- Jules Martin, Nos peintres et sculpteurs, graveurs, dessinateurs : portraits et biographies, Paris, 1897
- Eugène Montrosier, Les artistes modernes, Tome Troisième, Librairie artistique, H. Launette Éditeur, Paris, 1882
- Monique Riccardi-Cubitt, Le peintre Georges Moreau de Tours (1848-1901) & sa famille entre Paris et Bois-le-Roi, Fontainebleau Revue d’Histoire de la ville et de sa région n°19, mai 2021, Société d’histoire de Fontainebleau et de sa région http://www.revue-histoire-fontainebleau.fr
- Antoine Ritti, Eloge de Jacques Moreau de Tours, Annales de la Société Médico-Psychologique, Paris, Octave Doin, 1887
Monique Riccardi-Cubitt
Tous droits réservés